La temporalité et les temps de la conjugaison
Il convient de distinguer très soigneusement les divers sens du mot "temps" : en particulier nous distinguerons ce que l'on appelle les "temps de la conjugaison" ("présent", "passé composé", "imparfait", etc.) de l'axe de la temporalité, qui nous permet de mettre en contraste un passé, un présent et un futur, mais ce passé, ce présent et ce futur peuvent être exprimés de bien des façons et pas toujours d'ailleurs en utilisant les "temps de la conjugaison" : je peux parfaitement indiquer le passé en disant "Hier", "Il y a six mois", à tel point que lorsque ces indications temporelles sont données par adverbes ou locutions adverbiales, je peux même ne pas utiliser un "temps" du passé : Ex. : "Hier, je me lève, que vois-je ?..." De même pour le futur : "Demain, je pars pour Paris".
Les prétendus "temps du passé" dans la conjugaison n'expriment d'ailleurs pas toujours le passé, - et on perçoit tout de suite les limites du classement proposé en "temps de la conjugaison" pour le français qui correspondent certainement plus à l'organisation du verbe latin ou grec, qu'à l'organisation du verbe français, dont la morphologie est réduite (par rapport à la morphologie latine ou grecque). On a pris depuis longtemps l'habitude d'exprimer les rapports temporels (ou
Temps du discours et temps du récit
C'est à
Extrait de Problèmes de linguistique générale, pp. 241-243 :
"Nous avons, par contraste, situé d'avance le plan du discours [...] La distinction que nous faisons entre récit historique et discours ne coïncide [...] nullement avec celle entre langue écrite et langue parlée. L'énonciation historique est réservée aujourd'hui à la langue écrite. Mais le discours est écrit autant que parlé. Dans la pratique on passe de l'un à l'autre instantanément. Chaque fois qu'au sein d'un récit historique apparaît un discours, quand l'historien par exemple reproduit les paroles d'un personnage ou qu'il intervient lui-même pour juger les événements rapportés, on passe à un autre système temporel, celui du discours. Le propre du langage est de permettre ces transferts instantanés. [...]Par le choix des temps du verbe, le discours se distingue nettement du récit historique. Le discours emploie librement toutes les formes personnelles du verbe, aussi bien je/tu que il. Explicite ou non, la relation de personne est présente partout. De ce fait, la "3e personne" n'a pas la même valeur que dans le récit historique. Dans celui-ci, le narrateur n'intervenant pas, la 3e personne ne s'oppose à aucune autre, elle est au vrai une absence de personne. Mais dans le discours un locuteur oppose une non-personne il à une personne je/tu. De même le registre des temps verbaux est bien plus large dans le discours : en fait tous les temps sont possibles, sauf un, l'aoriste, banni aujourd'hui de ce plan d'énonciation alors qu'il est la forme typique de l'histoire. il faut surtout souligner les trois temps fondamentaux du discours : présent, futur, et parfait, tous les trois exclus du récit historique (sauf le plus-que-parfait). Commune aux deux plans est l'imparfait."
Ex. de texte aux temps du récit :
"Napoléon était né en Corse ; il combattit dans toute l'Europe car il était ambitieux ; il devait mourir à Sainte-Hélène."
Ex ce texte aux temps du discours :
"J'ai pris mon petit déjeuner très tôt ce matin, je suis maintenant fatigué ; il me faudra rapidement faire une pause : j'irai au bistrot du coin prendre un café."
On rappellera par ailleurs que bien des formes verbales théoriques ne sont plus réellement utilisées (sont défectives) : c'est le cas à peu près totalement de l'imparfait du subjonctif, mais également très largement du passé simple aux premières et deuxièmes personnes : qui oserait dire : nous arrivâmes, nous sortîmes, et vous bûtes... ? On verra en revanche que le passé simple aux 3e personnes restent très utilisés (c'est la base même du récit).
Ainsi donc les "temps de la conjugaison" avec leurs désinences (très peu variées pour les verbes les plus fréquents, c'est-à-dire les verbes du premier groupe) n'expriment pas seuls la temporalité : on recourt à du lexique, à des périphrases pour indiquer le moment où se situe le procès ; souvent d'ailleurs les désinences expriment autre chose que le temps mais des "aspects" (voir définition ci-dessous). Ainsi l'imparfait est d'abord chargé de marquer la durée ("Je travaillais quand il est arrivé), mais également l'irréel ("Un peu plus je tombais !"). Le passé composé, qui peut indiquer le passé par rapport au présent du locuteur : "J'ai travaillé ce matin, maintenant je suis en train de partir pour Paris", indique aussi très souvent un "accompli" ("Il a lu le dernier Goncourt"). Dans le premier cas, il peut être - moyenannt un certain changement de perspective - remplacé par un passé simple, mais pas dans le second cas. Ce test du remplacement pourra d'ailleurs se révéler très utile pour déterminer la valeur exacte des "passés composés" d'un texte.
On verra d'ailleurs aussi que si les désinences verbales (des temps de la conjugaison) peuvent indiquer des aspects (duratif, irréel, accompli...), elles ne sont pas seules à exprimer l'aspect, mais qu'on recourt également au lexique, à des périphrases variées.